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Juliusz Mieroszewski, Jadwiga Czechowicz-Mieroszewska. / Sygn. FIL00426
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Le « complexe polonais » des Russes et l’espace ULB

JULIUSZ MIEROSZEWSKI


Nous avons peur des Russes. Nous avons peur des Russes non pas sur le champ de bataille parce que nous avons emporté sur eux une grande victoire, il y a relativement peu. Après tout, les personnes qui ont participé à la bataille de Varsovie en 1920 vivent encore parmi nous.

Nous avons peur de l'impérialisme russe, des projets politiques russes. Pourquoi les Russes préfèrent-ils avoir des États satellites - comme la Pologne, la Tchécoslovaquie ou la Hongrie - plutôt que des voisins amicaux et relativement neutres ? Dans la situation actuelle, il n'existe pas de réponse logique à cette question. Si l'Allemagne de l'Ouest disposait aujourd'hui d'une armée puissante, d'armes nucléaires et nourrissait l'idée de représailles totales, le rôle des États satellites comme rempart contre la Russie serait compréhensible. Mais, comme nous le savons, l'Allemagne moderne n'a rien à voir avec le militarisme. Dans mon livre sur l'Allemagne[2], paru il y a dix ans, je me suis risqué à affirmer que les chars allemands n'apparaîtraient plus jamais dans les faubourgs de Moscou. Certaines configurations et certains systèmes se répètent dans l’histoire. Mais pour l'essentiel, elle est un catalogue des premières. L'histoire est fascinante parce que « le même » ne produit jamais un « autre même », et que des situations presque identiques, mais dans de nouvelles représentations, fabriquent des résultats différents.

Cependant, les conditions historiques nous poussent à accorder trop d'importance à ce qu’on nomme « impondérables » et trop peu aux transformations. Les personnes âgées en particulier - comme l’auteur de ces lignes - ont tendance à répéter que, pour l’essentiel, rien n'a changé. La Russie est impérialiste parce qu'elle l'a toujours été. Cette foi instinctive en les impondérables nous murmure à l’oreille que les Allemands n'ont pas au fond vraiment changé et que, lorsqu'une conjoncture favorable se présentera, ils s'armeront jusqu'aux dents et se lanceront à la conquête de nos terres [polonaises] de l’ouest.

À 70 %, voire 80 %, la politique est une discussion à propos de l'histoire. Personne d’entre nous ne sait exactement de quoi débattent les membres du Politburo du Kremlin lors de leurs réunions secrètes. Personne de nous ne sait ce que Brejnev pense et planifie au plus profond de son âme. L'histoire nous enseigne en revanche ce que ses prédécesseurs ont pensé et planifié au cours des deux cents dernières années. Comme « rien ne change pour l'essentiel », nous en concluons donc que Brejnev pense comme ses prédécesseurs.

Les conditions historiques d’une situation précise peuvent différer du tout au tout de la réalité – mais, en général, l'histoire a plus de pouvoir de suggestion que le temps qui nous est contemporain. L'histoire domine le présent, tout comme un père domine son fils mineur.

Nous regardons la Russie à travers le poids de l'histoire. Mais lorsque les Russes regardent la Pologne, ne sont-ils pas eux aussi alourdis par le poids de l'histoire ?

Edgar Snow, dans son livre intitulé Journey to the Beginning, cite un long entretien qu’il a eu, en tête-à-tête, avec Maksim Litvinov[3] à Moscou. Cet entretien s'est déroulé sans témoin le 6 octobre 1944.

Rappelons que Litvinov était marié à une Anglaise, qu'il connaissait bien l'Occident et qu'il parlait couramment anglais. À l’époque, sa carrière touchait à sa fin, ce dont il était parfaitement conscient.

Quand Snow l'a interrogé sur la Pologne, Litvinov a répondu que les Russes ne peuvent en aucun cas accepter le retour du groupe de « Beck » (c'est ainsi que Litvinov désignait le gouvernement polonais de Londres).

Il est intéressant de noter que Litvinov n'a émis aucune objection d’ordre idéologique. Il n’a pas parlé de réactionnaires, de capitalistes ou de propriétaires terriens polonais. Il a affirmé en revanche que le gouvernement polonais de Londres - et Sosnkowski en particulier - représentait l'impérialisme historique polonais qui cherche à reconstruire l'empire polonais des XVIe et XVIIe siècles. Selon Litvinov, Beck était prêt à s'allier aux Allemands pour atteindre cet objectif, et les Polonais de Londres étaient prêts, dans le même but, à s'allier aux Américains.

Alors que nos forces vives étaient épuisées, que nous étions dévastés par l'occupation nazie et la lutte dans la clandestinité, que nous rêvions seulement d'un bout de toit polonais au-dessus de nos têtes, et pas d'un empire, pour Litvinov, nous étions un rival potentiel.

Personnellement, j'ai été stupéfait de lire le récit d'Edgar Snow parce qu’il était tragicomique de penser qu'un politicien expérimenté puisse nous accuser d'impérialisme en 1944. C’était comme si l’on mettait en garde, avec tout le sérieux, un mendiant affamé et assoiffé contre la conséquence néfaste de nourriture et de boisson.

Et pourtant… après avoir relu les affirmations de Litvinov, je suis arrivé à la conclusion qu'elles n'ont rien de comique. Litvinov considérait la Pologne de la même manière que les Polonais regardent la Russie, avec son conditionnement historique.

Pour les Russes, l'impérialisme polonais est une tendance historique toujours vive. Il ne faut pas remonter très loin dans le temps pour trouver des témoins de la présence polonaise à Kiev.

Quand Mikolajczyk a dit à Staline que Lviv n'avait jamais fait partie de l'empire russe, Staline a répondu : « Lviv n'appartenait pas à la Russie, mais Varsovie si ». Puis, il a ajouté : « Nous nous souvenons que les Polonais sont autrefois arrivés jusqu’à Moscou ».

Beaucoup d'entre nous pensent que les Polonais sont guéris de l'impérialisme. Les Russes, eux, ne sont pas de cet avis. Le conditionnement historique les fait craindre les Polonais qui, s'ils retrouvaient leur indépendance, ils pourraient reprendre le chemin de l'impérialisme auquel ils se sont toujours identifiés.

Ce courant impérial s'est-il vraiment éteint en nous ? Le « complexe polonais » des Russes est-il sans fondement ?

 

Je ne pense pas que ce soit le cas. De nombreux Polonais d'aujourd'hui rêvent non seulement d'un Lviv et d'une Vilnius polonais, mais aussi d'un Minsk et d'une Kiev polonais. Beaucoup considèrent qu'une Pologne indépendante fédérée avec la Lituanie, l'Ukraine et la Biélorussie serait un idéal. En d'autres termes, l'alternative à l'impérialisme russe ne peut être que l'impérialisme polonais, comme cela a toujours été le cas.

À cette occasion, il est peut-être utile d'analyser un phénomène typique de l'émigration. Après la publication dans Kultura de mon article intitulé « Ostpolitik polonaise »[4], j'ai reçu en nombre des lettres de Polonais de différents pays qui exprimaient leur soutien total au programme exposé dans l'article cité. Les courriers de gens de lettres n'ont pas manqué non plus. Plusieurs d'entre eux ont avoué qu'ils s'étaient depuis longtemps réconciliés avec l'idée de perdre Lviv et Vilnius, mais qu’ils ne l'écrivent pas pour ne pas irriter l'opinion publique.

Nous avons produit une situation paradoxale. Les opinions des émigrés évoluent et changent alors que celles des élites et de la presse qu’elles dirigent n'ont pas évolué depuis 30 ans. De plus, j'ai la preuve que même certaines personnes appartenant à l'establishment émigré partagent notre point de vue sur Lviv et Vilnius, mais ne le diraient jamais à voix haute pour ne pas irriter l'opinion publique. Mais quelle opinion ?

Il existe deux groupes de personnes qui rejettent toute argumentation et toute discussion sur cette question. Le premier comprend principalement des personnes originaires de l'est de la Petite Pologne ou de Vilnius. Pour ces Polonais, l'attachement à leur terre - même si ce n'est pas leur patrie mais la terre natale - rend impossible d’accepter des arguments de raison.

Le deuxième groupe comprend des personnes qui, pour préserver le légalisme, réduisent l'idée d'indépendance au concept absurde d'une restauration de la Deuxième République [la Pologne de l’entre-deux-guerres]. Il n'existe pour eux d'autre Pologne que celle basée sur la Constitution de septembre, avec un Président, une Diète et un Sénat. Seule la Deuxième République qui renaîtrait indépendante pourrait, par la voix de la Diète approuvée par le Président, renoncer à Vilnius ou Lviv.

L'inconvénient de cette conception est la suivante : si nous n’étions plus, et si c’étaient les générations futures qui, admettons-le, verraient, elles, la Pologne indépendante renaître, il nous faudrait aussi admettre comme acquis que la Constitution de septembre ne réglera pas, un seul jour durant, la vie sur le territoire polonais. La nation libérée élira une Diète qui adoptera une nouvelle Constitution correspondant aux nouvelles conditions politiques, sociales et économiques. La grande majorité de la population, tant à l'intérieur du pays qu'en exil, n'a aucun doute à ce sujet.

Par conséquent, bien que personne ne croie plus au rattachement de Lviv et de Vilnius à la Pologne, ce mythe est officiellement entretenu pour des raisons légalistes. De plus, comme il est largement répandu que le gouvernement d'émigration basé sur le légalisme ne peut mener aucune politique réelle, sa position sur le destin de Lviv et Vilnius ou Minsk et Kiev n’a pas d’importance.

Et bien, en réalité, cela n'est pas indifférent. En émigration, nous ne pouvons pas procéder à des changements territoriaux, mais nous pouvons et devons établir certains principes. Une nouvelle émigration russe émerge en Occident. Avec ces personnes, nous devrions entamer un dialogue et rechercher un accord. La première question de ce dialogue doit porter sur la question de nations.

Les nouveaux émigrés russes sont antisoviétiques. Nous savons cependant que des gens qui étaient aussi éloignés que possible du communisme ou même du socialisme étaient impérialistes russes. Par conséquent, l’attitude à l'égard de la question nationale devrait constituer un test pour chaque nouvel émigré russe.

Ce test, nous devons bien entendu, l’appliquer à nous-mêmes. Nous ne pouvons pas affirmer que tout programme grand-russe est impérialiste alors que le programme polonais pour l'Est n'est pas du tout de l'impérialisme, mais une noble « idée jagellonne » [de la République des deux nations dont la dynastie Jagellon a été initiatrice].

En d'autres termes, nous pouvons exiger que les Russes renoncent à leur impérialisme à condition que nous renoncions nous-mêmes une fois pour toutes à notre impérialisme historique traditionnel, sous toutes ses formes et manifestations.

« L'idée jagellonne » n'a que pour nous rien à voir avec l'impérialisme. Mais pour les Lituaniens, les Ukrainiens et les Biélorusses, elle représente la forme la plus pure de l'impérialisme traditionnel polonais. La République des deux nations [polono-lituanienne] s'est terminée par la polonisation complète de la noblesse lituanienne, et la plus fervente déclaration d'amour à la Lituanie (« Ô Lituanie, ô ma patrie ! Tu m’es comme la santé ») a été écrite en polonais. Une situation similaire n’est imaginable pour aucun Polonais. Peut-on imaginer Juliusz Slowacki écrivant exclusivement en russe ? Les Russes ont certes essayé de nous russifier, mais ils n'ont pas réussi à nous priver d'un seul de nos poètes ou nos prosateurs. Au contraire même, la pression exercée par la russification a entraîné un incroyable essor de la littérature et de la langue polonaises au XIXe siècle.

Il est certes agréable de se dire que la culture polonaise est attrayante - pour beaucoup, bien plus attrayante que la culture russe. Mais le même fait, du point de vue lituanien ou ukrainien, signifie que les Polonais sont des assimilateurs plus dangereux que les Russes. Il suffit d'une conjoncture favorable pour que les Polonais déploient pleinement leurs ailes, leurs compétences d’assimilation des autres nations.

Les Russes, dans leur sournoise politique envers les nationalités, jouent sur l'atout de l’attraction de la culture polonaise. Un journal quotidien en polonais est publié à Vilnius, des théâtres de la République populaire de Pologne[5] y vont, et ainsi de suite. Les cibles de cette opération ne sont pas les Polonais qui vivant en Lituanie et qui ont soif d’entendre leur langue maternelle. Cela cible les Lituaniens et uniquement les Lituaniens. Du point de vue russe, l'influence de la culture polonaise - même à l'époque communiste - entrave le processus de l’émergence identitaire purement lituanien et d'une culture propre à la Lituanie. Bien entendu, tout ce qui réprime le processus de cristallisation de la spécificité nationale lituanienne est accueilli favorablement par Moscou.

En Europe de l'Est, si la paix et la liberté doivent un jour régner dans ses pays, il n'y a pas de place pour l'impérialisme, qu'il soit russe ou polonais. Nous ne pouvons crier que les Russes doivent restituer Kiev aux Ukrainiens et en même temps proclamer que Lviv doit revenir à la Pologne. C'est ce « double comptabilité » qui nous a empêchés dans le passé de briser la barrière de la méfiance historique entre la Pologne et la Russie. Les Russes nous soupçonnaient d'être anti-impérialistes seulement par rapport à eux, c'est-à-dire que nous voulions remplacer l'impérialisme russe par le nôtre.

Si, par souci de simplicité, nous appelons ULB la région qui englobe l'Ukraine, la Lituanie et la Biélorussie, il faut dire que dans le passé - et dans une certaine mesure encore aujourd'hui – l’ULB était plus qu'une « pomme de discorde » entre la Pologne et la Russie. La région de l'ULB a déterminé la forme des relations polono-russes, nous condamnant soit à l'impérialisme, soit au rôle de satellite.

Il est absurde de penser qu'en reconnaissant les problèmes de l'ULB comme une affaire intérieure russe, la Pologne pourra redresser ses relations avec la Russie. La rivalité entre la Pologne et la Russie sur ces territoires a toujours eu pour but d'établir une suprématie, et non des relations de bon voisinage entre les deux pays.

Du point de vue russe, l'incorporation de l’espace ULB dans l'empire russe est une condition nécessaire pour réduire la Pologne à un statut de satellite. De la perspective de Moscou, la Pologne doit être un satellite, sous une forme ou une autre. L'histoire enseigne aux Russes qu'une Pologne véritablement indépendante a toujours cherché à atteindre Vilnius et Kiev, à établir sa suprématie dans les régions de l'ULB. Si ces aspirations historiques des Polonais étaient couronnées de succès, cela liquiderait la position impériale de la Russie en Europe. En d'autres termes, la Pologne ne peut être véritablement indépendante, si la Russie doit conserver son statut impérial en Europe.

Du point de vue polonais, la situation est analogue. Nous avons cherché à prendre l'avantage dans l’espace ULB - que ce soit militairement ou en proposant des projets de fédération - parce que l'histoire nous enseigne qu'une Russie dominante sur ce territoire est un rival imbattable. De la part d’un rival victorieux, on ne peut s'attendre à rien d’autre qu'à l’esclavage.

Je voudrais insister sur deux points. Premièrement, il n'est pas possible de discuter des relations polono-russes sans tenir compte de la région ULB, ces relations ayant depuis toujours été fonction de la situation qui prévalait dans cet espace, au cours de différentes périodes de l’histoire.

S'il n'y avait pas eu Hitler, s'il n'y avait pas eu la Seconde Guerre mondiale, si les Allemands avaient été de bons Européens pacifiques, l'indépendance de la Pologne aurait pourtant été toujours été menacée par la Russie parce que, en 1920, nous avons été victorieux à Varsovie, mais pas à Kiev. Après la mort de Staline, après la fin des purges et de la liquidation des meilleurs officiers de l'armée soviétique, la Russie aurait tout de même entrepris une course aux armements que la Pologne aurait perdue. Tôt ou tard, l'avantage militaire de la Russie sur la Pologne aurait été important au point que Moscou - avec ou sans l'aide de l'Allemagne – nous aurait imposé son protectorat. Les cartes ont simplement été distribuées de cette façon, et il ne manquait pas d'écrivains politiques en Pologne pour s'en rendre compte. Adolf Bocheński[6], grand écrivain et journaliste qui, comme pour confirmer son avis que « l’on ne doit pas revenir de cette guerre », est mort à Ancône [en soldat], conseillait de conclure un accord avec l’Allemagne dans son livre publié par Jerzy Giedroyc à l’époque où « Nouvelle Allemagne » n’était qu’à ses débuts et que personne en Europe ne savait encore qui était Hitler et quels étaient ses projets. L'objectif de cet accord aurait été de détacher l'Ukraine de la Russie. Il est toujours question de l'Ukraine, de la Lituanie et de la Biélorussie, la situation dans ces régions déterminant les relations polono-russes.

Et le deuxième point. Il me semble que si les Russes ont toujours sous-estimé les Ukrainiens et continuent de le faire, ils ont toujours surestimé et continuent de surestimer les Polonais. Ils nous considèrent toujours comme des rivaux actifs ou seulement potentiels, mais comme des rivaux tout de même. Bien que Khrouchtchev ait autorisé la sortie du Panorama Raclawice[7] de Lviv[8], il a catégoriquement déconseillé de le mettre à la disposition du public polonais. Il estimait que le panorama rappellerait aux Polonais le soulèvement armé contre la Russie. La célèbre mise en scène des Aïeux[9] de Mickiewicz s'inscrit dans le même contexte[10].

Bien entendu, d’autres « événements de décembre »[11] à grande échelle me semblent plus probables en Pologne que le déclenchement d'un soulèvement armé contre la Russie. Il n'y a pas un seul homme politique en exil qui inciterait les Polonais du pays à se soulever. Les Russes, quant à eux, ne craignent pas tant une révolution sociale en Pologne qu'un soulèvement national. Ils pensent également qu'une révolution ouvrière visant à renverser le chef du parti et son régime perdrait en quelques jours ses traits économiques et sociaux pour se transformer en une révolte nationale contre la Russie.

Nous devons également nous rappeler que ce sont les Polonais, et non les Russes, qui ont vécu le traumatisme de l'Insurrection de Varsovie, celui de se voir abandonnés par les Alliés occidentaux et d’assister à l'occupation du pays par les troupes soviétiques. La guerre, nous l’avons complètement perdue parce qu’il ne reste même pas la moindre parcelle indépendante de la République de Pologne. Notre conception traditionnelle de la Pologne comme bastion de la civilisation occidentale s'est effondrée. Nous avons été trahis par notre propre histoire que nous avons glorifiée sur les autels de la littérature, la peinture, la musique. Nous avons fait la plus terrible des découvertes qu'une nation puisse faire, à savoir que l'Histoire est un brouillon de souvenirs noté dans une « maison des morts », et non un passé vivant que le présent confirme. Dans ces conditions, il était difficile pour un Polonais de ne pas devenir un révisionniste de l’histoire. Rien n’étonne non plus dans le fait que des écrivains catholiques, non communistes, qui désavouent même le socialisme – face aux ruines des « alliances exotiques » - défendent l'idée que l'alliance avec l'Union soviétique doit constituer la pierre angulaire de la politique polonaise. C’était renoncer consciemment à l'attitude de rival et adopter celle de vassal.

Nous devons toutefois nous rappeler que ces expériences traumatiques étaient purement unilatérales et ne concernaient que les Polonais, pas les Russes.

Il n'existe pas de matière que l'on puisse qualifier avec optimisme « d'histoire universelle ». Non seulement il n'y a pas d'histoire universelle, mais il n'y a même pas d'histoire européenne. Il n'y a que des histoires polonaise, russe, française, allemande, etc. La bataille de Vienne avec le roi Sobieski au premier plan, telle qu'elle l'histoire polonaise la voit, ne ressemble guère à la bataille de Vienne vue par l'histoire allemande.

L'histoire est une politique que l’on arrête en pleine couse. Un écrivain politique doit donc être capable de voir l'histoire à partir d'une vue d'ensemble. Dans le domaine qui nous intéresse, un homme politique doit être capable de regarder la suite des événements autant à travers les yeux d'un Polonais que d'un Russe. En effet, la politique est le prolongement de l'histoire et on ne peut comprendre la politique russe sans comprendre comment les Russes lisent l'histoire. La nation polonaise a toujours joué un rôle majeur dans l'histoire de la Russie, et il est essentiel que nous comprenions précisément la perspective de laquelle nous voient les Russes.

La situation de la fin de la Seconde Guerre mondiale rappelait celle qui s’est installée après la bataille d'Iéna. Napoléon régnait sur toute l'Europe et seuls deux États restaient invaincus, la Russie et l'Angleterre. Napoléon était à Moscou, Hitler dans la banlieue de Moscou. Le climat et l’espace étaient, dans les deux cas, les principaux alliés des Russes. Sur les habitants de l'Europe occidentale et centrale, les espaces russes ont un effet difficile à décrire. En France ou en Allemagne, une centaine de kilomètres est une distance énorme ; en Russie, une centaine de kilomètres n'est rien. Dans le journal d'un officier allemand, j'ai trouvé l’expression que la Russie est un pays sans horizon. Au-delà de l'horizon, lorsque vous l'atteignez, il y a de nouveaux champs, collines et rivières - et au-delà du nouvel horizon, il y a de nouveau des champs, des collines et des rivières, et ainsi de suite à l'infini, semaine après semaine, mois après mois. L'officier cité écrit que, même en été, après de nombreuses semaines de marche, cet espace russe sans fin finit par provoquer un sentiment d'impuissance chez l'homme le plus robuste.

Les Russes ont subi d'énormes pertes. Mais l'histoire ne les avait pas trahis, c'est-à-dire que le présent a confirmé le passé. Les armées de Hitler, comme celles de Napoléon, malmenées par le climat et l'espace russes, ont été battues et repoussées bien au-delà des frontières de l'empire russe.

En Pologne, le bouleversement technologique - aviation et chars d'assaut - a fait tomber notre arme traditionnelle, la cavalerie [en septembre 1939]. Nous avions sans aucun doute la meilleure cavalerie d'Europe, mais dans notre cas, le présent n'a pas confirmé l'histoire. Au contraire, la tradition s'est révélée être une vieille dame édentée face aux colonnes blindées motorisées qui nous ont mis hors d'état de combattre en 17 jours.

Tout ce que j'ai écrit ci-dessus vise à illustrer le fait que l'histoire n'a pas trahi la Russie mais, au contraire, a confirmé les conceptions traditionnelles russes. Par conséquent, les Russes - contrairement aux Polonais - pensent que rien n'a changé depuis la bataille d'Iéna. La Russie a aujourd’hui un système différent, mais elle est toujours aussi impériale et invincible. En anglais, on dirait de manière imagée que le fond est tombé de notre monde polonais. Mais, dans le monde russe, même la révolution n'a pas ébréché le fond, parce que la Russie est restée identique du point de vue de son histoire, c'est-à-dire impérialiste et possessive.

Prenons un autre exemple. La révolution et la défaite, qui ont eu lieu dans l'Empire ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale, ont dépouillé la Turquie de son identité historique. La Turquie a cessé d'être une puissance impériale. Par conséquent, les Turcs modernes pensent très différemment de ce que pensaient leurs grands-pères et arrière-grands-pères il y a quelques décennies à peine. En revanche, la révolution d’Octobre n'a pas dépouillé la Russie de son empire et n'a pas modifié d'un iota la disposition historique de la Russie. Après la Seconde Guerre mondiale, Staline s'est comporté et a agi comme un tsar omnipuissant de l’Empire de toutes les Russies : le symbole et le représentant de l'idée impériale russe.

Ces choses-là, nous le savons tous, mais peu d'entre nous réalisent que ce conservatisme historique russe comprend également l’évaluation de la Pologne et des Polonais. Litvinov parlait de la restauration de l'empire polonais des XVIe et XVIIe siècles, ce qui nous semble comique, mais pour Litvinov - contrairement à nous - le XXe siècle était une continuation des XVIe et XVIIe siècles avec les mêmes questions traditionnelles, sans exclure les questions polonaises. Comme les tsars, Staline, Litvinov et Brejnev croyaient et croient que les régions d'Ukraine, de Lituanie et de Biélorussie pourraient être gouvernées soit par les Polonais, soit par les Russes. Il n'y a pas de troisième solution historique : il n'existe qu'un choix, entre l'impérialisme polonais et l'impérialisme russe.

Les Russes nous surestiment parce qu'ils nous regardent d’une perspective historique russe. Les Polonais, quant à eux, tout en étant fiers et, le plus souvent, sentimentaux à l'égard de leur passé historique, pensent en même temps que cette gloire impériale n'a rien à voir avec la réalité d'aujourd'hui.

Nous nous comportons comme un hobereau qui a perdu son domaine. Mauvais état de l’économie, l'adversité et surtout un voisin méchant nous ont fait perdre le « bien » auquel nous avions droit de par les lois divines et humaines. Nous nous consolons cependant en nous disant que la « justice de l’histoire» a davantage puni les Ukrainiens, les Lituaniens et les Biélorusses parce qu'ils ont échangé de bons maîtres polonais contre de mauvais maîtres soviétiques.

Pendant trois cents ans, nous dominions à l'Est. Si la paix de Grzymułtowski (1er mai 1686) [12] est considérée comme un tournant dans l'histoire des relations polono-russes, il faut dire que la Russie a l'avantage à l'Est depuis trois cents ans. Cette « alternance » - nous ou eux - rend impossible la normalisation des relations entre la Pologne et la Russie. Cette « alternance » signifie que les Polonais - comme les Russes - ne croient pas en une troisième solution et que, parce que tertium non datur, nous acceptons notre position de satellite comme un état de fait, sinistre mais actuel. Dans un système « soit nous soit eux », cette fois-ci, ce sont eux qui dominent.

Il y a cependant une différence entre les Polonais et les Russes. L’avantage des Russes a été confirmé par l'histoire. En revanche, nos luttes, nos soulèvements et même nos victoires ont été balayés par l’Histoire. Nous nous tenons au système « nous ou eux », parce que nous n'en connaissons et n'en avons pas d'autre. Mais la majorité des Polonais ne croit plus en ce système, ne croit pas que nous pourrons un jour prendre l’avantage sur la Russie. Cette incrédulité est à l'origine d'une mentalité de satellite et de la servilité.

Moi non plus, je ne crois pas au système « soit nous soit eux ». Je ne crois pas que nous pourrons un jour repousser la Russie des faubourgs de Przemyśl jusqu’à Smolensk. Je pense également que ce système, bien que profondément ancré dans l'histoire, est aujourd'hui un anachronisme, et un anachronisme barbare. Les Ukrainiens, les Lituaniens et les Biélorusses du XXe siècle ne peuvent pas être des pions dans le jeu historique russo-polonais.

J'ai voulu démontrer que le système du « soit nous soit eux », bien qu'il puise sa force dans des siècles d'histoire, est de fait une source empoisonnée. Nous devons rechercher les contacts et l’entente avec les Russes qui sont prêts à accorder le plein droit à l'autodétermination aux Ukrainiens, aux Lituaniens et aux Biélorusses et, ce qui est également important, nous devons nous-mêmes renoncer une fois pour toutes à Vilnius et à Lviv, ainsi qu'à toute politique ou projet qui viserait, dans une conjoncture favorable, à établir notre supériorité à l'Est aux dépens de ces nations. Les Polonais et les Russes doivent comprendre que seules une Russie non impérialiste et une Pologne non impérialiste auront une chance d'établir, d’harmoniser leurs relations mutuelles. Nous devons comprendre que tous les impérialismes sont mauvais, qu'il soit polonais ou russe, qu'il soit réalisé, ou potentiel, en attente d’une conjoncture propice pour renaître.

Les Ukrainiens, les Lituaniens et les Biélorusses doivent se voir accorder le plein droit à l'autodétermination à l'avenir, comme l'exige la raison d'État polonaise et russe. Ce n'est qu'ainsi qu'il sera possible d'enterrer le système désastreux du « soit nous soit eux », un système qui offre aujourd'hui à la Russie une alliance avec la Pologne satellite, mais qui, en même temps, provoque la situation suivante : si une guerre russo-chinoise éclatait demain, la grande majorité des Polonais souhaiteraient la victoire des Chinois.

Pour toutes ces raisons, la question des nations est un problème fondamental non seulement pour la Russie, mais aussi pour les relations polono-russes. Seule une solution radicale de ce problème donne le pouvoir de transformer ces relations.

Il semble qu'un pourcentage croissant de Russes soit conscient de cette question. Une fois de plus, je voudrais insister sur le fait que la mentalité « soit nous soit eux » doit être éradiquée non seulement chez les Russes, mais aussi chez les Polonais. Il s'agit d'un processus double. Les Polonais qui attendent patiemment le moment des représailles et le rétablissement de la Pologne de « la rempart de la chrétienté » alimentent intensément l'impérialisme russe.

Au début de cet article, j'ai mentionné Maksim Litvinov, pour qui le système historique du « soit nous soit eux » était aussi vivant et pertinent en 1944 qu'il l'avait été au cours des trois cents années précédentes. Litvinov pensait qu'il était nécessaire d'achever enfin l'œuvre entamée par la trêve d'Androussovo (3 I 1667), lorsque la Pologne a cédé Smolensk, la région de Tchernikhiv, Kiev et d’autres territoires à Moscou.

Exactement trente ans après l’entretien d'Edgar Snow avec Maksim Litvinov, le petit-fils de ce dernier, Pavel Litvinov, est entré en contact avec Kultura de Paris et s'est rapproché de notre point de vue.

Enfin, le dernier point de ces réflexions. Les Polonais d'aujourd'hui ont une aversion pour les slogans verbeux, pour toutes sortes de phraséologies romantiques. Cependant, je ne peux m'empêcher de penser que dans leur anti romantisme, les Polonais jettent le bébé avec l'eau du bain. La politique d'une nation en captivité doit unir des gens de convictions différentes et devrait donc se fonder sur un idéal moral qui purifierait notre programme pour l’indépendance, en lui conférant une dimension éthique. Cette dimension morale, supranationale, fait défaut à tous les programmes contemporains indépendantistes.

Personne ne peut s’enthousiasmer à l'idée de la croissance économique ou par le slogan « une télévision couleur dans chaque foyer et une voiture devant chaque maison ». Même si tout le monde veut des voitures, personne n'est prêt à mourir pour des voitures et la télévision en couleur. Au Vietnam, à Chypre, au Moyen-Orient, en Irlande du Nord, en Angola ou au Mozambique, des gens meurent pour des idées souvent erronées mais auxquelles ils adhèrent avec ferveur.

Chez les Polonais d'aujourd'hui, dans leur pays comme à l'étranger, rien, littéralement rien, n'est professé avec ferveur. Les personnes sans idéal (« mort aux pigeons ») sont totalement démunies face à la violence et constituent un matériau classique qui sert à fabriquer des esclaves en masse.

En lisant L'Archipel du Goulag, force est de constater que ces gigantesques camps de plusieurs millions de prisonniers auraient été impensables sans la collaboration de leurs gardiens. La philosophie « mort aux pigeons » de la grande majorité des gardiens, combinée à la violence des autorités soviétiques, a fait du Goulag un business prospère.

Bien entendu, les plus grands pigeons sont les adeptes du slogan « mort aux pigeons », et l'Archipel du Goulag est une confirmation monumentale de la thèse ainsi formulée.

L'idée d'autodétermination et de liberté pour les nations amies qui nous séparent de la Russie, accompagnée d'un renoncement sincère à tout projet impérialiste, qui inclurait l'espoir de s'entendre avec Moscou derrière leur dos et aux dépens de ces nations, un programme conçu de cette manière pourrait redonner à la politique indépendantiste polonaise le sens moral élevé qu'elle n'a pas aujourd'hui.

Qu'avons-nous à opposer à l'Archipel du Goulag, si nous le considérons comme un symbole du système ? Nous n'avons pas les Soljenitsyne, mais nous avons les Iwaszkiewicz, apôtres de la réussite du système communiste. En exil, nous avons un anticommunisme virulent qui ne produit rien d'autre qu'une haine animale de la Russie. Cet anticommunisme est dépourvu de dimension morale car il est allié à un égoïsme national, voire à un nationalisme borné. Le Goulag ne nous intéresse que dans la mesure où, dans cette pyramide de corps et d'âmes torturés, nous pouvons voir la décomposition de la Russie, ce qui nous permettrait de rendre à la Pologne Vilnius, Lviv et peut-être quelque chose de plus.

Nous devrions revenir à Mickiewicz. Il a compris le mot « liberté » et sa dimension morale mieux et plus véritablement que nous.

Kultura 1974, no 9/324

Traduit par Anna Ciesielka-Ribard

 

[1] Ukraine, Lituanie, Biélorussie.

[2] Juliusz Mieroszewski, Kehrt Deutschland in den Osten zurück?. Polen, Deutschland, Europa ; Colloquium Verlag, Berlin 1961.

[3] Maksim Litvinov (1876-1951), homme politique et diplomate soviétique. Membre du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (SDPRR) à partir de 1898, et du Parti bolchevique à partir de la scission du parti en 1903. À partir de 1907, secrétaire du groupe du SDPRR à Londres. Délégué à Londres en 1918, il est arrêté et échangé contre un agent britannique arrêté à Moscou. Commissaire du peuple et commissaire adjoint aux affaires étrangères de 1930 à 1939 et de 1941 à 1946. Ambassadeur de l'URSS aux États-Unis en 1941-43, co-organisateur de la Conférence de Téhéran, dite de « Big Three ».

 

[4] Juliusz Mieroszewski, Polska „Ostpolitik”, Kultura 1973, n° 6.

[5] République populaire de Pologne. L’appellation introduite par la Constitution du 22 juillet 1952 désigne l'ensemble de l'État dirigé par le Parti ouvrier polonais (PPR) et plus tard le Parti ouvrier unifié polonais (PZPR). La République populaire de Pologne se caractérisait notamment par sa dépendance à l'égard de l'URSS, la concentration du pouvoir entre les mains du parti communiste, le recours à la répression contre son peuple, l'absence de procédures démocratiques pour changer de pouvoir, la restriction des droits de l'homme, y compris la restriction totale de la liberté d'expression (censure), l'isolement partiel ou total par rapport au monde non communiste. Cette appellation de la Pologne a cessé d'exister le 31 décembre 1989 à la suite d'un amendement constitutionnel.

[6] Adolf Bocheński (1909-1944), écrivain politique et journaliste polonais. Entre 1927 et 1939, collaborateur de divers périodiques conservateurs ("Myśli Konserwatywna", "Słowo", "Bunt Młodych" et "Polityka"). Pendant la Seconde Guerre mondiale, officier des Forces armées polonaises auprès des Alliés, il est tué lors de la bataille d'Ancône.

[7] « Le Panorama de Racławice », peinture à l'huile de très grand format (15 x114 m) représentant la bataille de Racławice, livrée par l'armée insurgée polonaise sous le commandement du général Tadeusz Kościuszko (1746-1817) contre l'armée russe commandée par le général Aleksander Tormasov. L'œuvre, créée par une équipe de peintres sous la direction de Jan Styka (1858-1925) et Wojciech Kossak (1856-1942), célèbre peintre de bataille, a été réalisée au tournant de 1983/94, pour célébrer le 100e anniversaire de la bataille. La toile a été exposée dans une rotonde construite à cet effet dans le parc Stryjski à Lviv. Dès le début, la peinture a suscité un grand intérêt, faisant affluer à Lviv les foules de touristes.

[8] La question du rapatriement du patrimoine culturel polonais de l’Est, de l’ancienne République polono-lituanienne a fait l'objet de négociations complexes entre les parties, notamment entre Bolesław Bierut et Nikita Khrouchtchev. Staline y participe également. Le transport comprenant le  « Panorama » est arrivé à Wroclaw le 21 juillet 1946. Dans le « Protocole de la remise du fonds de Lviv… », nous lisons ce qui suit : Le 18 juillet 1946, à 14 heures, à la gare de Przemyśl, dr Aleksander Gieysztor, délégué du gouvernement de l’Union nationale [...], a remis à la délégation de Wrocław [...] les collections de la bibliothèque et des archives [...]. Les collections susmentionnées ont été remises dans 4 /quatre/ wagons couverts, à double essieu, un wagon couvert à 4 essieux, scellé, et sur 2 /deux/ plateformes ouvertes sur lesquelles le « Panorama de Racławice » a été déposé.

[9] Adam Mickiewicz Les Aïeux(1830-1832). Drame en quatre parties alliant des thèmes politiques, ludiques et métaphysiques. Il introduit la figure de Gustav-Konrad, dont la transformation par la souffrance est devenue l'un des archétypes de la culture polonaise. Le titre fait référence à un rituel slave dédiés aux morts, l'élément qui relie toutes les parties et donne l'espoir d'une restauration rituelle de la communauté.

[10] Une représentation des Aïeux au Théâtre national de Varsovie (1967) dans une mise en scène de Kazimierz Dejmek a transformé le spectacle en une pièce politique, et son interdiction a provoqué une révolte étudiante et, en même temps, le début des événements dits de Mars 68, qui, outre la vague de protestations étudiantes, s’accompagnent des luttes de factions hostiles au sein du Parti communiste et d’une vague de propagande antisémite. Wacław Gomułka, premier secrétaire du comité central du Parti, qualifie alors la représentation d’un « coup de couteau dans le dos de l'amitié polono-soviétique ».

[11] Décembre 1970, massacre sur la côte baltique suite aux manifestations de travailleurs du 14 au 22 décembre 1970, causées par l'augmentation des prix (principalement des denrées alimentaires). Le 17 décembre, des coups de feu sont tirés sur les ouvriers des chantiers navals de Gdynia qui manifestent.

Les protestations sur la côte donnent lieu à une réponse d'une brutalité sans précédent de la part des autorités : 27 000 soldats, 550 chars, 750 véhicules blindés de transport de troupes, 108 avions et hélicoptères et 40 bateaux de patrouille de la marine sont utilisés pour pacifier les travailleurs. Près de 80 000 bonbonnes de gaz ont été utilisées dans les combats. Selon les informations officielles, 45 personnes ont été tuées, 1 165 blessées, dont 154 par balles, et environ 3 000 personnes ont été sévèrement battues. Les autorités ont dissimulé le nombre de victimes pendant de nombreuses années, la censure limitant toute information à ce sujet.

[12] Traité polono-russe de 1686, dit traité de Grzymułtowski. Il a été signé entre les envoyés de la République des deux nations, le voïvode de Poznań Krzysztof Grzymułtowski, le grand chancelier de Lituanie Marcjan Oginsky et la régente Sophia Alekseyevna (au nom de ses frères mineurs Ivan V et Pierre Ier). Il confirme les termes du traité de 1667, laissant les régions de Smolensk, de Sverovsk, de Tchernikhiv et de la rive gauche de l'Ukraine, ainsi que Kiev, sous la souveraineté de Moscou. La liberté religieuse est également garantie mutuellement - du côté moscovite pour les catholiques, du côté polonais pour les orthodoxes. Le traité met fin à la guerre russo-polonaise commencée en 1654. Il est resté en vigueur jusqu'aux partages.

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